Le Rassemblement National au pouvoir : une révolution possible ou un mirage institutionnel ?
Une promesse taillée dans le roc populaire
Imaginons un instant que le Rassemblement National (RN), porté par ses figures emblématiques comme Marine Le Pen ou Jordan Bardella, s’installe à l’Élysée.
Le tableau qu’ils peignent depuis des années résonne dans les cœurs d’un électorat inquiet : sécurité renforcée, immigration drastiquement réduite, souveraineté retrouvée face à une Europe perçue comme une entrave.
Leur programme actuel, tel un manifeste gravé dans l’urgence, propose des mesures radicales : fin du droit du sol, priorité nationale pour l’emploi et le logement, expulsion systématique des étrangers délinquants, ou encore un référendum sur l’immigration.
À cela s’ajoute une posture eurosceptique, réclamant une France qui décide seule, loin des diktats de Bruxelles.
Mais entre ces mots qui galvanisent et leur mise en œuvre, un abîme se dessine, fait de réalités institutionnelles et de contradictions subtiles.
Les chaînes invisibles du pouvoir
Si le RN accédait au pouvoir, pourrait-il vraiment tenir ses promesses ?
La France n’est pas une île flottant dans l’éther. Elle est ancrée dans un réseau de traités européens, d’obligations internationales et d’équilibres constitutionnels.
Prenons la sécurité : renforcer les forces de l’ordre et durcir les peines, oui, cela relève du possible.
Mais la migration ? Supprimer le droit du sol ou instaurer une « préférence nationale » heurterait de plein fouet la Constitution et les engagements européens.
Le Conseil constitutionnel, gardien des principes républicains, pourrait retoquer ces mesures, sauf à réviser la Loi fondamentale – un chantier titanesque exigeant une majorité écrasante ou un référendum risqué.
Quant à l’Europe, quitter Schengen ou renégocier les traités ressemble à un rêve prométhéen : le RN, jadis partisan d’un « Frexit », a adouci sa rhétorique, mais ses ambitions souverainistes se briseraient sur la réalité d’une Union dont la France dépend économiquement et stratégiquement.
Des contradictions qui murmurent la limite
Le programme du RN, s’il séduit par sa clarté, porte en lui des fissures philosophiques.
D’un côté, il exalte la souveraineté nationale ; de l’autre, il ignore que la grandeur d’une nation moderne se joue aussi dans sa capacité à coopérer.
Réduire l’immigration à néant ? L’économie française, des champs aux usines, repose sur ces mains venues d’ailleurs.
Priorité nationale ? Une telle discrimination légale serait un séisme juridique, incompatible avec les valeurs universalistes qu’une partie de l’électorat, même RN, chérit encore.
Et sur l’Europe, le grand paradoxe : critiquer Bruxelles tout en restant dans son giron, c’est danser sur une corde raide, entre posture et pragmatisme.
Le cri du peuple et l’écho d’un silence
Et puis, il y a ce grondement sourd, cette urgence qui cogne dans les tripes des Français : le pouvoir d’achat qui s’effrite comme une falaise rongée par la mer, les loyers qui étranglent, les factures qui dansent une valse macabre avec les fins de mois.
Les citoyens, dans leurs murmures ou leurs colères, attendent un sauveur, un geste fort, une baguette magique pour faire plier l’inflation et les spéculateurs.
Mais le RN, drapé dans ses promesses de fer, pourrait bien rester figé, les poings levés mais les mains vides.
Pourquoi ?
Parce que baisser les prix ou construire des logements par millions, ça ne se décrète pas d’un claquement de doigts face à une économie mondialisée qui rit des frontières.
Réduire les taxes sur l’énergie ? L’Europe et ses règles serrées comme un corset viendraient toquer à la porte.
Lancer un grand plan social ? Les caisses de l’État, déjà essoufflées, ne suivent pas les élans du cœur.
Le RN vend du rêve en Technicolor, mais face à cette urgence capitale, il se heurterait à une toile plus vaste, celle d’un système qui ne plie pas sous les slogans. La colère du peuple est légitime, son attente un phare dans la nuit, mais les solutions promises risquent de n’être qu’un mirage, dissous dans les vents contraires de la réalité.
La France hors d’Europe : un saut dans l’abîme ou une chimère abandonnée ?
Et l’Europe, ce grand échiquier où la France joue depuis des lustres, le RN pourrait-il vraiment la quitter, claquer la porte et reprendre les clés du destin national ?
Jadis, Marine Le Pen brandissait le « Frexit » comme un étendard, un cri de guerre pour une souveraineté pure, débarrassée des chaînes bruxelloises.
Mais aujourd’hui, les convictions ont pris des teintes plus pâles, plus prudentes : le RN ne parle plus de rupture franche, mais de « réformer de l’intérieur », de renegocier les traités pour desserrer l’étreinte.
Au pouvoir, pourraient-ils pousser plus loin, orchestrer un départ ?
Théoriquement, oui, un référendum pourrait être convoqué, la voix du peuple tranchant le nœud gordien.
Mais dans les faits, les murs se dressent haut : l’économie française, tricotée dans la maille européenne, vacillerait sous le choc – exportations en chute, euro abandonné, marchés affolés.
Les risques ?
Un isolement splendide mais périlleux, une France redevenue île dans un monde interconnecté, où les investisseurs fuiraient et les alliés se détourneraient.
Le RN, lucide ou frileux, semble avoir rangé le grand saut au placard, préférant une posture de défi sans divorce.
Quitter l’Europe reste un fantasme caressé par certains électeurs, mais les intentions actuelles du parti, tiédies par le réel, laissent penser que la France resterait dans le giron, grognant plus qu’elle ne s’échappe.
La souveraineté tant chantée risque de n’être qu’un refrain, beau mais inaccompli.
Alors…changer la France : une illusion ou un élan bridé ?
Alors, si le RN gouvernait, que changerait-il vraiment ?
Sur le papier, un virage sécuritaire et identitaire marquerait les esprits. Les rues pourraient se parer de plus d’uniformes, les discours d’une fierté retrouvée.
Mais les grandes requêtes de ses électeurs – stopper net l’immigration, défier l’Europe, redonner « le pouvoir à la France » – se heurteraient à des murs : ceux des institutions, de l’économie globale, des alliances incontournables.
Le RN pourrait infléchir la trajectoire, mais non la réécrire.
Les mains ne seraient pas libres, mais liées par des fils invisibles, tissés par des décennies d’histoire et de compromis.
La France changerait de ton, peut-être de visage, mais pas d’âme ni de destin.
Le pouvoir promis au peuple resterait, en partie, une chimère, diluée dans les eaux profondes de la realpolitik. Et désolé de peut-être avoir gâché l’ambition ou les espoirs de certains qui voyaient peut-être dans le RN la solution à tous nos problèmes de la vie de tous les jours depuis des décennies…
[…] Le RN au pouvoir : est-ce que ça changerait vraiment grand chose pour la France ? […]
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